24/04/2015

Vieillissement : un livre blanc dénonce le manque de moyens

«Soyons francs et disons-le, la société moderne ne montre guère aux vieillards un excès de tendresse. La jeunesse seule intéresse. On dirait que les jeunes sont les dieux d'aujourd'hui. D'où ce paradoxe: la médecine s'acharne à prolonger la vie des hommes et des femmes mais de l'autre, ils ou elles sont victimes d'un système permanent d'humiliation», analyse sombrement Elie Wiesel, Prix Nobel de la paix en prologue du Livre blanc de la gériatrie française. Un ouvrage qui présente un état des lieux complet des besoins pour les personnes âgées en France. Un outil précieux pour ceux qui soignent, pour les politiques qui décident des orientations nouvelles et pour les gestionnaires qui les appliquent.


09100923-MouliasR.jpgUn constat d'abord. Les plus de 65 ans seront 10,4 millions en 2020, soit un million de plus qu'en 2000 et près de 19 millions en 2050 soit 28% de la population totale. Et par ailleurs, un papy-boom des plus de 85 ans est prévisible sous peu avec l'arrivée en masse des générations nées dans les années vingt. Certes les octogénaires d'aujourd'hui sont en meilleure santé que ceux d'hier. «Il n'y a pas d'inéluctable «dépendance liée à l'âge», assure, optimiste, le professeur Robert Moulias, gériatre (Paris). «Il n'y a que des handicaps secondaires à des maladies chroniques, qui s'accroissent avec l'âge.» Globalement un quart des seniors reste très longtemps en pleine forme, un autre quart est très malade, et 50% ont un vieillissement normal avec le risque pour certains de basculer très vite dans la maladie du fait d'une infection virale intercurrente (épidémie de grippe) ou d'un événement imprévu comme la canicule.


Ce sont ces personnes fragiles qu'il faut identifier en priorité. Malheureusement les Clic (centre local d'information et de coordination), qui coordonnent à domicile l'action des infirmières, des assistantes sociales et des aides-ménagères et sont capables de détecter les problèmes des plus fragiles sont encore trop peu nombreux, pour pouvoir faire de la prévention ciblée. Il y en a 300 mais il en faudrait au moins un millier.


Après avoir abordé les problèmes posés par les principales pathologies liés à l'âge – augmentation de l'insuffisance cardiaque rançon des progrès du traitement de l'hypertension artérielle, montée en puissance des maladies neuro-dégénératives (Alzheimer et Parkinson) –, le Livre blanc fait le tour de toutes les structures de soins et d'accueil à domicile ou en institutions tant publiques que privées habilitées à prendre en charge les seniors. Et pointe le manque criant de moyens et de personnel, infirmières en particulier, tant en ville qu'à l'hôpital. «Les jeunes infirmières tout comme les jeunes médecins d'ailleurs peuvent avoir peur de s'occuper des vieilles personnes», analyse le professeur Alain Franco, spécialiste en médecine interne et en gériatrie au CHU de Grenoble. «Pourtant cela s'apprend et c'est très gratifiant.»


Pour ce spécialiste, «si l'on devait hiérarchiser les priorités, il faudrait d'abord renforcer les pôles de formation des gériatres, des directeurs d'institutions, des infirmières, et de tous les aidants. Il faudrait ensuite renforcer l'outil hospitalier et enfin développer le système de réseau de soins et d'aide à domicile.» Afin de pouvoir mieux et plus longtemps prendre en charge les personnes âgées chez elles, en mettant tout en œuvre pour rompre leur isolement et leur solitude, un problème particulièrement aigu en région parisienne.


Pour le professeur Francis Kuntzmann (Strasbourg), président du Collège national des enseignants chercheurs de gériatrie, «après la crise générée par la canicule, l'effervescence est bien retombée. Déjà les établissements n'ont pas les moyens pour payer suffisamment de personnel. Quant à la climatisation, il faut bien comprendre qu'elle sera en fait supportée financièrement par le résident lui-même».


Le professeur Franco se veut plus optimiste. «Les choses ont avancé, indiscutablement, même si beaucoup reste encore à l'état de projet. Et l'effet d'émotion collective lié à la canicule a tout focalisé sur les urgences. Mais toutes les filières d'aval destinées à accueillir les patients par la suite ne fonctionnent pas. Si rien n'est fait, le problème reste entier

Cet ouvrage pointe aussi la consommation de médicaments par les personnes âgées. «Trop, trop cher et dangereux, les avis convergent sur ce constat», souligne le professeur François Piette (hôpital Charles-Foix, Ivry-sur-Seine). «Après 65 ans, de 3% à 23% des hospitalisations selon les études sont dues à un accident lié à la prise de médicaments», relève-t-il.


Plus globalement, tous les gériatres reconnaissent qu'il est extrêmement gênant d'avoir l'impression de demander l'aumône chaque fois que l'on parle de soins et d'assistance aux personnes âgées. «Si l'on veut éviter le renouvellement d'événements tels que ceux de cet été, on doit redonner aux personnes âgées leur dignité et ne pas les traiter en citoyens de seconde classe qu'on tolère mais qui gênent», affirme haut et fort le professeur Maurice Tubiana, directeur honoraire de l'Institut Gustave-Roussy. «D'autant que l'on ne cesse de répéter à la personne vieillissante que sa retraite, ses soins, coûtent cher et pèsent sur le niveau de vie des adultes


De surcroît, on sent venir dans notre pays un conflit entre l'État qui gère le volet santé et les départements en charge du volet social, avec la tentation pour les uns et les autres de se renvoyer la balle. Contrairement à des pays comme la Hollande ou la Grande Bretagne où il n'y a pas cette dichotomie caricaturale. Un conflit qu'il est indispensable de clarifier, afin que les personnes âgées ne continue pas à en faire les frais.

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